Programmation / Agenda
Spectacles
Nyotaimori 🗓
Manger des sushis sur le corps d’une femme nue
Après Dimanche napalm, Renaud Diligent choisit de porter à la scène le texte de l’autrice québécoise Sarah Berthiaume. Ainsi nait Nyotaimori (titre inspiré du rituel japonais), une fable qui nous entraine dans la spirale (sur)réaliste de Maude, pigiste proche du burn-out, victime d’injonctions professionnelles dévorantes.
Du réalisme à l’absurde, la pièce nous conduit de Montréal au Japon en passant par le Texas et l’Inde, à la rencontre de personnages, qui, à l’aire de l’économie mondialisée, fabriquent des voitures ou rêvent de les gagner lors de jeux affligeants, produisent des soutiens-gorges ou finissent par les porter. Epuisée, Maude choisit une issue surprenante pour mettre fin à cette fuite en avant et trouver le repos… Portés par les rythmes électro-pop de Gabriel Afathi (The George Kaplan Conspiracy) Sébastien Chabane, Élisabeth Hölzle et Claire Théodoly, donnent corps à ce conte tout en humour grinçant.
Mercredi 29 et jeudi 30 janvier 2025 dès 20h à l’atheneum
Durée : 01:30
Genre : Théâtre
Billetterie sur le site de l’ABC : https://abcdijon.org/events/event/nyotaimori/
à partir de 15 ans.
DISTRIBUTION
Texte : Sarah Berthiaume (Éditions de ta mère) | Mise en scène : Renaud Diligent | Avec : Sébastien Chabane, Claire Théodoly, Élisabeth Hölzle | Gabriel Afathi : composition musicale originale | Émilien Dodeman : interprétation musicale live | Dramaturgie : Sarah Cillaire | Scénographie : Emmanuelle Debeussher | Costumes : en cours | Maquillages : Marion Bideaut | Lumières : Pascale Renard | Son : Anthony Dascola | Chargée de Production : Gallane Decerle Production Compagnie Ces Messieurs Sérieux (Cie CMS). Co-production MA scène nationale – Pays de Montbéliard. Soutien à la production Théâtre du Pilier – Belfort / Giromagny et Théâtre de Beaune. Avec le soutien du Ministère de la Culture DRAC Bourgogne Franche-Comté de Région Bourgogne-Franche-Comté (aide à la production), et de la ville de Dijon (conventionnement) demande en cours à la SPEDIDAM Résidences de création : Théâtre d’Auxerre – scène conventionnée d’intérêt général, La Cité du Mot – La Charité sur Loire, MA scène nationale – Pays de Montbéliard, Théâtre de Beaune, ARTDAM – Dijon, Théâtre du Pilier – Belfort / Giromagny. La compagnie est conventionnée par la Ville de Dijon et est soutenue au fonctionnement par la Région Bourgogne-Franche-Comté et par le département de la Côte-d’Or. Les projets de la compagnie sont régulièrement soutenus par la DRAC Bourgogne-Franche-Comté, la Région Bourgogne-Franche- Comté, le Conseil Département de la Côte d’Or, le Conseil Départemental de la Saône-et-Loire, la Ville de Dijon, l’ADAMI et la Spedidam.
Photo de la page web :Compagnie Ces Messieurs Sérieux
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Le travail est-il le centre de nos vies ?
Avec un humour grinçant, l’autrice Sarah Berthiaume (Québec) s’intéresse à l’objectivation des corps par le capitalisme. Confrontant liberté et aliénation, Nyotaimori (ancien rituel et art japonais consistant à manger des sushis sur le corps d’une femme) nous entraine dans la spirale surréaliste de Maud, une pigiste épuisée par l’injonction de réussite et l’absence de limite avec sa vie personnelle.
Une réflexion sur le travail au service de la mondialisation, le travail qui rend fou et qui fait oublier de vivre… sur le burn-out…
Du réalisme le plus simple à l’absurde total, de la comédie au drame, la pièce nous entraîne de Montréal au Japon en passant par le Texas et l’Inde. Un cauchemar éveillé à la rencontre d’une galerie de personnages partageant tous la même soumission au capitalisme sauvage. Maude finira par perdre pied…
Portés par les rythmes électro-pop de Gabriel Afathi (membre du duo de The George Kaplan Conspiracy), trois acteurs – Sébastien Chabane, Élisabeth Hölzle et Claire Théodoly – nous plongent avec énergie dans cette pièce aux accents surréalistes et pourtant si actuelle.
L’APPEL DE L’USINE
À la base, Nyotaimori est une courte pièce que j’ai écrite il y a quelques années pour une soiré e de lectures au Festival Zone Homa. Sarianne Cormier, qui orchestrait l’évènement, nous avait proposé de nous inspirer d’une usine montré alaise pour l’écriture. J’avais choisi les Tricots Main Inc., une fabrique de sous-vêtements située au 6666 St-Urbain, à la frontière du Mile-Ex, ancien quartier ouvrier que j’habitais à l’époque (pour les curieux : l’édifice existe toujours, mais il a évidemment été transformé en condos).
Je me suis appliqué e à fantasmer ce qui pourrait arriver dans le ventre vide de cette usine, vestige d’une industrie textile jadis florissante. Cette industrie qui, du jour au lendemain, a disparu de notre horizon montréalais pour aller se réimplanter ailleurs, dans les métropoles de l’Inde ou du Bangladesh, afin d’avaler des nouvelles générations d’ouvrières en manque de sommeil et de droits fondamentaux.
Pour l’anecdote : j’avais écrit cette courte pièce à la toute dernière minute parce que, dans ce temps-là, j’avais encore beaucoup de mal à dire non. J’accumulais les contrats, les commandes d’écriture pour le théâtre, la télé, alouette. J’étais complètement ensevelie par les tâches à accomplir. J’avais des textes à rendre tout le temps, j’apportais mon ordinateur en vacances, je travaillais jusqu’à tard le soir. Je n’avais plus ni loisirs, ni espace mental. Tout était travail, partout, tout le temps.
En passant chaque jour devant cette usine et en cherchant à m’en inspirer, j’ai donc développé un fantasme absolument stupide et indécent : celui d’y travailler. J’étais complètement obsédée par l’idée d’un travail simple, répétitif, aliénant. Un travail circonscrit dans le temps, que je pourrais quitter le soir sans y penser. Un travail d’ouvrière qui punch in et out. J’étais comme l’Irina des Trois soeurs de Tchékhov, qui en vient à envier « l’ouvrier qui se lève à l’aube et va casser des cailloux sur la route. »
C’est de cet inavouable fantasme qu’est née la première mouture de Nyotaimori : une petite fable étrange où se rencontrent, dans le sous-sol d’une usine-condo, une trentenaire québécoise et ceux qui ont fabriqué sa voiture et son soutien gorge. Une petite fable sur les liens de domination que le système économique nous fait entretenir malgré nous. Une petite fable où une fille finit par trouver une certaine plénitude dans le fait de devenir une table à sushis.
Le texte final (Nyotaimori) est donc la version longue de cette petite fable, transformé e en triptyque. (…) j’ai continué à explorer le thè me du travail pour voir comment il s’inscrit dans nos corps, comment il nous habite et ultimement, nous dé finit.
– Sarah BERTHIAUME, autrice
PERDRE SA VIE À LA GAGNER
« Nyotaimori » met en scène de manière drôle, inattendue et dramatique la question de la centralité du travail dans nos vies. Quels sont sa place et son sens ? Comment est-il un marqueur de nos identités? Comment change-t-il et transforme-t-il nos corps et nos énergies ? Et enfin, le télétravail, les visioconférences, et la « surconnectivité » ne sont-ils pas de nouvelles formes d’aliénation et de subordination au capitalisme ?
Derrière ces questions se cache la problématique du Burn-out qui touche aujoud’hui plus de deux millions et demie de personnes en France.
Ce qui me touche dans la pièce de Sarah, c’est qu’elle ne s’attache pas à poser ces questions à travers un unique personnage, mais à faire résonner plusieurs destinées entre elles. Ces personnages n’ont aucun lien entre eux (enfin si, les objets qu’ils confectionnent ou qu’ils utilisent à travers le monde) et vivent dans des contextes différents. Magiquement ils vont se rencontrer, voir leurs points communs et leurs différences.
Dans les années 90, 60% des Français actifs déclaraient que leur travail définissait leur identité. Au lendemain de la pandémie, seul 21% le revendique. Aux USA, l’augmentation sans précédent des démissions volontaires de postes a été, symboliquement appelée « La Grande Démission », en référence à la grande dépression des années 30, pour marquer son caractère extraordinaire… Notre monde post-covid se réveille différent et devant la prise de conscience des méfaits de la mondialisation et les problématiques écologiques, l’humanité n’entamerait-elle pas une nouvelle mutation dans notre contexte post-pandémique ?
L’acuité de la pièce de Sarah Berthiaume avec notre actualité est intense, pourtant le texte a été écrit en 2017. J’ai découvert ce texte par l’entremise de Sébastien David, l’auteur de «Dimanche napalm» mon dernier projet. Avec l’autrice, ils ont tous les deux mis en scène la pièce à Montréal en 2018. En me replongeant dans les écritures dramatiques québécoises de ma génération, j’ai le sentiment de poursuivre une exploration où mon regard se déplace. D’Amérique du Nord, la perception et le ressenti de notre société sont différents. La langue pour l’exprimer nous parait étrangère. C’est dans ces écarts que je perçois toute une poésie réflexive sur notre propre présent.
TOUT, PARTOUT, TOUT À LA FOIS…
La mondialisation nous connecte à travers le monde… mais avant tout, elle nous entoure en permanence à travers les objets qui conditionnent des imaginaires. Mais qui se cache derrière leur confection ? Comment une femme enfermée dans le coffre d’une voiture, se retrouve-t-elle à la fois sur une chaine de montage au Japon et dans un parking d’Amérique du nord ? Comment une porte dans une usine de lingerie en Inde peut-elle donné sur le sous-sol d’un immeuble à Montréal ? Un trou de ver ? Une porte magique ?
L’autrice parle de « réalisme magique »… (Selon Wikipédia « le réalisme magique est un courant littéraire qui consiste à faire surgir l’onirisme ou le surnaturel dans un environnement réaliste avec un cadre géographique, culturel ou socioéconomique précis »)
J’aime à me dire que le théâtre peut tout… Étrangeté, humour, drame. Ici, la pièce change de ton et mélange malicieusement les genres. On assiste à la coexistance, un homme qui cherche à gagner une voiture en restant la bouche collée le plus longtemps sur le capot ; une journaliste qui fête son burn-out à coup de marguarita ; une grande dirigeante qui congèle ses ovules dans l’espoir de fonder un jour une famille ; un ouvrier dont le métier est de caresser les voitures à la chaine ; une femme qui rêve de devenir une table à sushis. Un paysage doucement drôle et surréaliste mais en même temps tellement vrai.
La fin est tragique, Maud plonge et nous assistons à son Burn-out. Épuisée, elle préférera rester allongée pour ne plus se soumettre à l’injonction de produire. Le néolibéralisme aura eu raison d’elle, la transformant en femme/table. Une fin non consensuelle qui pousse volontairement au débat : jusqu’où le néolibéralisme peut-il détruire nos corps, notre esprit et notre capacité a être en lien et à refuser de subir ?
– Renaud DILIGENT, metteur en scène